Les indices pensables. Episode 45, par Brunor
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45- Si le paradigme est perdu, on se retrouve tout nu.
Résumé des épisodes précédents* : Nous nous penchons sur les récentes déclarations du Pape qui a insisté sur la compatibilité des termes création et évolution, et a même énoncé prononcé le célèbre mot : Big Bang.
Le 27 octobre dernier (2014) devant l’académie pontificale des sciences, le Pape François a déclaré : « le Big-Bang, qui aujourd'hui se pose à l’origine du monde, ne contredit pas l’intervention créatrice divine mais l'exige. »
Pour réfléchir à cette question, il faut savoir qu’au début, en 1923, ce qu’on appellera plus tard « le Big Bang », n’était qu’une théorie. Une théorie mathématique énoncée par deux physiciens que tout opposait : le Russe (soviétique) Alexandre Friedman (1888-1925) et le Belge (Jésuite) Georges Lemaitre (1894-1966). Leur point commun était d’avoir envisagé une théorie nouvelle et assez révolutionnaire, qui concevait un Univers non pas fixe et stationnaire, définitivement posé là, mais au contraire, en expansion…
Une théorie qui allait, dans les années suivantes, être reçue plus ou moins favorablement par la communauté scientifique et par le public. Il est donc intéressant de noter deux réactions diamétralement opposées, manifestées par deux personnes particulièrement célèbres : d’une part la fameux Albert Einstein, d’autre part le Pape Pie XII.
Dès le début, d’un côté, le scientifique Einstein a refusé cette théorie. De l’autre côté, le religieux Pie XII, qui fut Pape de 1939 à 1958, a été enthousiasmé par cette théorie d’un commencement de l’Univers qui lui rappelait le récit Biblique. Si un débat avait été organisé à l’époque, la presse aurait certainement médiatisé une telle joute sous le titre accrocheur : Grand débat science contre religion. Et le public aurait sans doute confirmé cette appellation puisque les deux protagonistes n’étaient autres que le plus grand des scientifiques du moment, et le plus grand des catholiques… Cela saute aux yeux.
Et pourtant, en aucun cas il ne s’agirait là d’un débat science contre religion, mais plutôt d’un débat entre deux interprétations philosophiques : deux paradigmes. (1)
Le Pape Pie XII se serait réjoui de la compatibilité de cette théorie mathématique d’un commencement de l’Univers, avec la Bible qui parle aussi d’un commencement de l’Univers.
En face, qu’est-ce qui pouvait bien déranger un scientifique ouvert à la nouveauté, comme Einstein ?
On a d’abord cru que son refus était motivé par des causes scientifiques. L’inventeur de la théorie de la Relativité craignait peut-être que cette théorie d’un Univers en mouvement ne mette en danger sa propre théorie récente de la Relativité Générale… Aussi Friedman a-t-il entrepris de recommencer tous ses calculs dans le but de rassurer Einstein, et le Russe a pu démontrer qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre les deux théories… De quoi rassurer le Prix Nobel de physique. Mais ce dernier restait aussi stationnaire que son modèle d’Univers, sans donner d’explication à son obstination. On avait beau chercher des motivations scientifiques éventuelles, ni Friedman ni Lemaitre, ni personne n’arrivait à comprendre l’attitude du maître. Il reconnaitra plus tard que ce refus n’était pas motivé par des raisons scientifiques,(on aurait pu les chercher longtemps !) mais uniquement par des raisons… philosophiques.
En effet, ces calculs de Friedman et Lemaître proposaient une nouvelle conception du monde qui était tout simplement radicalement contradictoire avec la vision du monde d’Einstein, fondée sur la philosophie de Spinoza (1632-1677).
Le grand savant avait en effet choisi de calquer sa conception du monde sur celle de ce philosophe du XVII° siècle qui enseignait un Univers absolument stationnaire et fixe, car « divin ». « Natura sive Deus, sive Substancia » c’est à dire : La Nature ou Dieu ou la Substance… c’est le même. Autrement dit : Il n’existe qu’une seule sorte d’Être. Par conséquent, si l’Univers est divin, il n’est pas question qu’il ait un commencement, il est nécessairement immuable et éternel. On voit bien qu’il ne s’agit pas là de motivations scientifiques mais bien philosophiques, voire métaphysiques et ontologiques (3). Chacun a le droit d’avoir son paradigme et personne n’aime voir démantelée sa conception du monde. Un paradigme perdu et on se retrouve un peu nu. Dans ce débat Einstein/ Pie XII, malgré les apparences, ce sont donc bien deux interprétations qui étaient en opposition et non pas : sciences contre foi.
Mais alors, lorsque Pie XII a déclaré en 1951 : « La science a réussi à se faire le témoin du ‘Fiat lux’ initial…» pourquoi Le chanoine Lemaître a-t-il invité le Pape à la prudence et pourquoi lui a-t-il demandé de ne pas conclure hâtivement que la science confirmait la Bible à propos d’un commencement du monde ? Et pourquoi le Pape Pie XII a-t- il effectivement cessé d’aborder ce sujet en public ?
Parce que Foi et raison sont incompatibles ? Certainement pas, comme le prouveront les déclarations des papes suivants…
Tout simplement parce qu’avant 1965, le Big Bang n’était qu’une théorie. Or chacun peut comprendre qu’il est prudent de ne pas fonder trop de conclusions sur des théories tant qu’elles ne sont pas confirmées.
(A suivre…) (5)
Brunor
(1) Paradigme : Une représentation du monde. Comment on se représente le monde et son histoire...
(2) D’où vient ce terme de Big Bang ? Nous verrons cela la prochaine fois.
Si vous êtes pressé, voir : Le hasard n’écrit pas de messages. Brunor (SPFC editeur)
(3) L'ontologie est une branche de la philosophie concernant l'étude de l'être…
(4) Voir la chronique 11 : http://www.brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/11-Chronique.html
(5) Voir L’Être et le néant sont dans un bateau. BrunorEéditions (2014)
*Voir les épisodes précédents sur www.brunor.fr ou sur le site de Zénit http://www.zenit.org/fr/googlesearch?q=les%20indices%20pensables
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Dans la collection :
Les indices pensables,
nouvel Album (octobre 2012)
La
lumière
fatiguée
Scénarios et dessins de Brunor
Albums déjà parus :