Les indices pensables. Episode 25, par Brunor
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Une idée partagéee par toutes les philosophies du monde.
Résumé : Ce qui est assez plaisant pour les jeunes de terminale, c’est de découvrir qu’en philosophie, il existe une idée qui est partagée par tous les philosophes du monde entier et de tous les temps*… Il ne doit pas y avoir beaucoup d’idées qui font une telle unanimité, ça vaut donc la peine de la connaître, et puis, on ne sait jamais, ça pourrait tomber pour le Bac philo (!)
C’est le grand Parménide, vers l’an 500 avant notre ère, qui a eu cette idée tout simplement géniale. Il se dit : en fait, quand on y pense, il n’y a jamais eu de néant absolu. Pourquoi affirmes-tu cela Parménide ? Demandent ses interlocuteurs.
- Parce que s’il y avait eu du néant absolu, il y serait encore, et rien n’existerait. Mais mettons-nous bien d’accord sur les définitions : j’appelle néant absolu, un néant privé de tout. Privé de toute matière et privé de tout esprit. D’un tel néant absolu, nous sommes d’accord que rien ne peut sortir ni naître ni surgir. Car si quelque chose (un chêne par exemple) sortait de ce néant, ce serait la preuve que notre néant contenait ce chêne en germe, ce serait donc la preuve que ce néant n’était pas absolu, mais qu’il contenait un germe invisible.**
Or, poursuit Parménide, puisqu’aujourd’hui nous voyons autour de nous des choses comme des montagnes, des océans, etc. et que nous sommes certains que ces choses, ces océans et ces montagnes n’ont pas pu sortir ni surgir du néant absolu, nous avons la preuve que quelque chose ou quelqu’un a toujours existé.
Ce quelque chose ou quelqu’un qui a toujours existé car il n’a pas pu sortir du néant, je l’appelle : l’Être Absolu, nous dit Parménide. Car Absolutus signifie délié de toute relation de dépendance. Cet Être Absolu (qu’on peut aussi appeler l’Être Nécessaire) a toujours existé, il ne connait ni naissance, ni croissance, ni évolution, ni dégradation ni destruction.
Jusqu’à ce point, il se trouve que tous les philosophes et toutes les philosophies et toutes les religions du monde entier sont d’accord avec Parménide : « Ex nihilo, nihil ». ***
Les désaccords commencent immédiatement après ce point d’orgue, cet accord magnifique, dès qu’il s’agit de répondre à la question qui se présente assez rapidement : QUI (ou QUOI) est cet Être Absolu ?
Chaque philosophie et chaque religion, va naître de la réponse à cette question et va se déterminer par rapport à cette question fondamentale. Car chacun, depuis l’Antiquité jusqu’ à nos jours, donne son avis, son opinion, partage ses réflexions sur cette grande question : QUI (ou QUOI) est cet Être Absolu qui n’a pas pu avoir de commencement, puisqu’il n’a pas pu sortir du néant. Il est forcément éternel dans le passé et éternel dans le futur.
C’est ce que nous dit Parménide et avec lui tous les penseurs de tous les temps qui malgré leurs innombrables désaccords sont d’accord à ce sujet.
Alors j’ai un ami athée qui va me dire : Ah Ah Ah ! (Il commence souvent comme ça, pour montrer que l’humour permet un certain recul)… Puis il va ajouter : Moi je suis athée, et donc, pas question que je partage l’idée de ton Parménide qu’un Être Absolu éternel existe ! Ah Ah … Et pourquoi pas le bon-Dieu pendant que tu y es ? J’étais enfant de cœur quand j’étais gamin. Les curés, j’ai eu ma dose, alors maintenant tchao ! Je les respecte, alors… qu’ils me respectent !
Parménide, habitué à la rhétorique, lui répond : mais c’est prévu ! Moi, philosophe, je suis aussi athée que vous, cher ami. Mais le fait de nier toute intelligence créatrice sous forme de dieu unique ou dieux au pluriel, ne m’empêche pas de réfléchir. (Il faut reconnaître qu’on pouvait avoir une certaine classe dans l’Antiquité).
Bref, le philosophe grec commence à expliquer à mon ami athée que lui-même Parménide, est tout à fait athée… L’Être Absolu ne doit pas inquiéter : Il suffit de comprendre que cet Être éternel n’est tout simplement pas quelqu’un, mais quelque chose. L’Être Absolu n’est autre que … l’Univers lui-même ! Voilà ce qui a toujours existé et qui existera toujours, car il ne connait ni croissance, ni évolution, ni usure, ni fin.
Cet Univers étant constitué de matière, Parménide devient le fondateur de ce grand courant philosophique qu’est le matérialisme. Selon cette représentation du monde, la matière qui constitue l’Univers n’est pas créée par un ou plusieurs dieux, elle est éternelle.
Puisque je vois des montagnes et des océans qui n’ont pas pu sortir du néant et qui n’ont pas été créés par un dieu, ces montagnes et ces océans sont donc éternels. Ils ont toujours été là. ****
Et là, mon ami athée commence à se sentir philosophe : d’accord, tout compte fait, je veux bien partager l’idée de ton Parménide, en tant que matérialiste athée, je veux bien professer comme lui que l’Univers est l’Être Absolu, du moment qu’il n’y a pas de dieu créateur.
Maintenant que j’ai trouvé une philosophie qui me plait, parle-moi des autres courants de pensée, il doit y en avoir des tonnes ? Oui, car il y a autant d’interprétations que de philosophes, mais à la réflexion, pas tant que ça, car on peut les grouper en grandes « familles » de pensée qui parcourent les siècles.
On peut en distinguer trois ou quatre, comme des grands fleuves avec leurs affluents, qui irriguent toute la pensée…
A suivre…
*A notre connaissance, mais il est possible que tel ou tel élément nous ait échappé.
** Et s’il contenait ce que les physiciens appellent des « fluctuations du néant », ce serait la preuve qu’il n’était pas un néant absolu, mais juste une apparence de néant, contenant des fluctuations. Ces fluctuations seraient tout simplement l’Être Absolu.
*** Il faudra analyser à part, la posture de Martin Heidegger qui semble se singulariser en ne partageant pas cette base de la pensée.
**** Bien sûr, des contestations vont s’élever. Par exemple Héraclite qui déclare : Pas du tout ! Toute cette matière n’est pas immuable et fixe, elle connait des cycles éternels ! Quant aux Atomistes comme Démocrite, ils contestent : ce qui est immuable et fixe, ce n’est pas la matière que tu vois, mais les atomes qui la constituent !
http://www.brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/08-Chronique.html (à propos de la génération spontanée.)
Illustration copyrights : Brunor. Le hasard n’écrit pas de messages. Tome 3 de la série :
Les Indices pensables.
Dans la collection :
Les indices pensables,
nouvel Album (octobre 2012)
La
lumière
fatiguée
Scénarios et dessins de Brunor
Albums déjà parus :