Graeme Allwright.
... De passage…

 

Article de Brunor ( 1998)

 

 

Petit garçon, il est l’heure d'aller se coucher, Le temps est loin de nos vingt ans, Jolie bouteille, Petites boites... Ses chansons sont entrées dans le folklore, chacun en a fredonné les refrains au moins une fois auprès d¹un feu de camp, mais leur auteur est tellement discret que c’est à peine si on sait prononcer son nom.
Il a enregistré près de vingt disques en trente ans, ses tournées font salle comble, mais il reste à l’écart de toute forme de vedettariat : quelqu’un de rare.
Cet inlassable poète migrateur fait une escale à Paris, comment ne pas le rencontrer entre deux concerts ?

Passer la porte de chez Graeme Allwright, c¹est un peu comme entrer dans une de ses chansons, il vous offre une chaise dans sa cuisine et prépare du thé anglais.
Tout est simple, on se croirait en face d¹un artisan, ou devant un de ces grands alpinistes au visage sculpté par les névés des cinq continents.
Il te propose quelques dattes venues de Tunisie et raconte des choses de sa vie.

Sa voix est grave et discrète, son accent que tu connais si bien depuis Suzanne, n’a pas changé: une mélodie chaleureuse qui laisse le silence exister, avec précaution.
Il parle plus facilement des autres que de lui-même : de ses musiciens, devenus de vrais amis
(sur scène, leur complicité fait plaisir à voir ), de Léonard Cohen dont il adapte les chansons depuis si logtemps...
Si tu insistes un peu, il te raconte comment il a quitté Wellington et sa Nouvelle-Zélande natale pour étudier le théâtre à Londres.


Je suis parti changer d’étoiles, sur un navire, j’ai mis la voile, pour n’être plus qu¹un étranger, ne sachant plus très bien où il allait ...

« Mon gouvernement a accepté de me donner une petite bourse. J¹avais trois mois pour faire mes preuves à l¹école de L’Old Vic, fondée à Londres par Michel Saint Denis, le neveu de Jacques Copeau. » ( Il avait dirigé à la BBC la fameuse émission : « Les Français parlent aux Français », sous le pseudonyme de Jean Duchêne.)

Au bout des deux années d’études , il est remarqué par des directeurs de théatres et on lui propose d¹entrer dans le plus prestigieux théatre Shakespearien de Stratford on Avon: le rêve !
Mais le jeune homme de 24 ans choisit une autre voie :
« Entre une carrière assurée et Catherine (la petite fille de Copeau ) , je n¹ai pas hésité... Elle devait rentrer en France et nous voulions nous marier . Je l'ai suivie...»

J’t’ai raconté mon mariage, à la mairie d¹un p¹tit village, je rigolais dans mon plastron, quand le maire essayait d¹prononcer mon nom …

Ce petit village s¹appelle Pernand-Vergelesses, au milieu des vignes, près de Beaune.
L¹étranger y sera adopté comme un enfant du pays et il y retourne encore tous les deux ans pour chanter aux Rencontres Jacques Copeau: La fête de la musique, du théatre et...du vin .

« J’ai travaillé dur comme ouvrier agricole à monter de la terre sur le dos dans des hottes de vendanges. Ensuite j¹ai construit une trentaine de ruches... Auparavant nous avions rejoint la Comédie de Saint-Etienne, à Rochetaillée. Nous allions tirer l’eau du puits, c¹était très sommaire... C¹était bien.
Comme j¹avais appris à travailler le bois, je fabriquais des décors pour le théatre, je faisais aussi le machiniste et un peu de figuration, mais je parlais à peine français. Mon vocabulaire augmentant, mes passages sur scène devenaient plus intéressants.»



Plus tard, à Paris, il joue chez Jean-Louis Barrault au théâtre Sarah Bernhardt. Successivement responsable d¹une seconde troupe à Saint-Etienne, infirmier en psychiatrie et prof d¹Anglais dans la Drôme, il n¹a pas encore commencé à chanter "professionnellement".
« L'idée a peut-être germé dans mon esprit lorsque j¹ai interprété quelques chansons de Ferré et Brassens, au cours d¹une tournée avec une pièce de Brecht trop courte ....
Après un travail de moniteur dans un hôpital psychiatrique , j¹ai pris ma guitare et je suis parti chanter des Folk-Songs américains et irlandais au cabaret de la Contrescarpe, sept soirs sur sept, pour des clopinettes. J’étais accompagné pendant cinq ans par Jenny Detto qui travaille aujourd’hui sur d’extraordinaires compositions pour mon prochain disque. »


Colette Magny remarque sa voix, son style, et le présente à Mouloud’Ji qui lui conseille d¹écrire une trentaine d’adaptations.

« J’ai peiné des heures et des heures sur ces textes, mais toutes ces années passées parmi des gens si différents, entre l’agriculture et la culture, cela m¹a aidé à trouver les mots pour adapter ces chansons en français. »

Ce ne sont jamais de simples traductions mot à mot : d¹ailleurs il ne choisit que des textes qui résonnent en lui :
« Par exemple quand j¹ai entendu Suzanne et l’Etranger de Léonard Cohen, c’était comme si je les avaient écrites moi-même ! »

En 1966 , Mouloud’Ji produit son premier 45 tours : LeTrimardeur.
D’autres albums suivent, Emmène-moi et Le jour de clarté qui reçoivent un accueil plus qu’enthousiaste. « "J’étais très étonné de ce qui se passait : tant de jeunes à mes concerts! Et ils connaissaient tous les refrains ! C’était incroyable. C’est allé trop vite, je n¹étais pas préparé à cela. » Nous sommes en 1968. Notre chanteur a quarante ans et ça ne se voit pas. Des milliers de jeunes se reconnaissent dans sa quête d¹authenticité.
On est très loin des chansonnettes du Top 50 mais le succès le guette.

Alors il prend la route, l’Egypte, l’Ethiopie. Il vit le Ramadan en Algérie, au grand étonnement des musulmans, puis s’embarque pour l’Inde et les Himalayas.
Le bruit court qu’il ne chante plus. La radio annonce même ...sa mort !..

Détresse des jeunes qui chercheront une consolation en apprenant les accords de ses chansons.

Heureusement, il revient avec de nouveaux musiciens dont les voix et les accompagnements sont emplis du soleil de Madagascar.
« J’étais allé la-bas pour rendre visite à une tante de Catherine. Entrée chez les Bénédictines à 18 ans, la seconde fille de Copeau avait fondé un couvent sur les Hauts-Plateaux. J¹ai rencontré ces jeunes malgaches exceptionnellement doués qui m’accompagnent depuis les années 80. Ce sont de vrais amis, nous formons un peu une famille. »


Comme un vrai gamin, j¹veux prendre la route, partir encore avec mes amis musiciens... Monter sur les planches des p’tits patelins, c¹est toute ma vie, ma raison d¹être, mon destin.

De nouveau, il sillonne la France, de tournées en concerts.
Ce matin de décembre, j¹ai la chance d¹être du voyage.
Au volant l’ami Erik Manana, talentueux guitariste et chanteur Malgache, Graeme déplie la carte, direction Boulogne sur mer.

Pendant les essais de sono, Graeme se risque sur une chanson inédite, son guitariste ne l¹avait encore jamais entendue mais ils vont la jouer tout-à-l’heure. Avec lui ,il y a toujours des surprises, partage Erik avec complicité. Eviter le piège des Petites boîtes, très étroites.
Trop étroites…

La salle est bientôt remplie, il faudra refuser du monde, comme pour tous ses concerts...
Après quelques ballades nostalgiques, beaucoup d’humour et de chaleureux refrains repris en choeur par un public où toutes les générations se retrouvent , le troubadour aux pieds nus nous offre un répertoire de plus en plus spirituel.
Déjà dans Suzanne, un couplet évoquait ce pêcheur venu sur la terre (… d’homme ! soulignera Graeme méditatif: un pécheur ... d’homme...)

Aujourd’hui il nous entraine Au coeur de l'arbre:
Au coeur de l'arbre, il y a le bois,
au coeur du bois il y a la planche,
avec deux planches on fait la croix
qui tient Dieu dans ses branches...


Les paroles et la musique sont de Maurice Cocagnac , un vieil ami du temps de Pernand-Vergelesses et de leurs 20 ans, à qui Graeme avait appris la guitare au milieu des vignes.
Il est devenu Dominicain et pretre !
Une longue amitié unit ces deux chercheurs de Lumière.

Fidélité envers les personnes.
Fidélité envers les idées qu’il chante depuis plus de trente ans: nous voici maintenant derrière les barreaux de la Maison d’arrêt de Loos-les-Lille pour un concert sans podium ni projecteurs...
L’acoustique est catastrophique dans la grande salle où le poète vient partager deux heures avec les détenus, mais le principal c¹est la rencontre.
Le courant passe : "Merci beaucoup, vous nous avez apporté un peu de liberté dans la prison!"

ça me fait d’la peine, mais il faut que je m’en aille...

Sur la route de la côte, entre Boulogne et Dunkerque, nous parlons de cette association humanitaire : « Partage » (1)qu¹il soutient depuis 25 ans en donnant des coups de main sur place, au Viêt-Nam, en Ethiopie, en Thaïlande: près du pont de la rivière Kwaï, à Kigali...
Maurice Cocagnac m’a raconté que Graeme avait même laissé tomber sa guitare et son métier pour s’engager comme bénévole pour cette fondation humanitaire fondée par Pierre Marchand.

- Comment tu l’as connu ?
- dans... la rue… A cette époque, vers 1975,je portais la barbe et personne ne me reconnaissait, sauf ce jeune qui m’a arrêté dans la rue, au quarter Latin, et m’a parlé de ses projets, il n’avait que 17 ans, et il fondait son association. On a monté un concert de soutien.

Dans
la rue, sur les routes, c¹est bien là que vous avez le plus de chances de croiser Graeme Allwright, ce pélerin de 71 ans qui vit comme un ascète.
"Je me demande où il puise toute son énergie, confie Erik : il ne mange presque pas et se lève vers 7 heures du matin, même les lendemains de concert !"

La réponse est peut-être dans une des chansons de Cohen qu’il interprète souvent en début de concert :
Si c’est Ta volonté de me laisser chanter... de ces collines brisées sonneront tes louanges, à la vollée..., et dans cette confidence :
"Pendant des années, Léonard Cohen s’est levé avant le soleil pour méditer pendant trois heures… Moi, c¹est en marchant que je médite..."

 

(1) Association Partage avec les enfants du monde.

(voir des photos de Graeme Allwright)

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Voir les paroles de la Marseillaise de Graeme Allwright